Accueil > Actualités > Communiqué > “Lorsqu’il s’agit de prévoir les éboulements, deux méthodes de suivi valent mieux qu’une” – par Pierre BOTTELIN
Durant les mois précédant un éboulement rocheux important, un suivi innovant par sismique passive a permis de détecter une chute très nette (-25 %) de la fréquence de résonance de la pente instable. Cette chute traduit une perte de stabilité progressive due à des processus d’endommagement en profondeur.
Deux régimes d’endommagement d’importance comparable ont pu être mis en évidence par sismique passive. Le premier régime est accompagné de déformations importantes en surface qui peuvent aussi être mesurées par des techniques classiques (extensomètres, clinomètres, théodolite, radar, optique, etc). En revanche, le second régime d’endommagement montrant des chutes rapides de la rigidité de la pente demeure invisible en surface. Ce résultat suggère que la sismique passive représente un atout pour améliorer la prédiction de rupture de pentes instables.
Ce travail a été conduit par le bureau d’études SAGE Ingénierie, appuyé par le laboratoire ISTerre, pour le compte du Conseil Départemental de la Savoie.
Observer et écouter des signes précurseurs
En août 2023, 14 000 m3 de roches se sont détachées de la falaise de La Praz (Maurienne, Savoie, France). Cet éboulement a entraîné la fermeture de la route départementale RD1006 et interrompant tout trafic SNCF France-Italie durant plus d’un an.
La plupart des systèmes actuels de surveillance de pentes instables sont basés sur la mesure des déformations de la surface du sol. On utilise la vitesse de déformation du sol pour prédire quand la rupture de la pente instable va se produire. Mais ces changements en surface ne disent pas tout de la stabilité de la pente, et des processus d’endommagement à l’œuvre en profondeur.
Dans notre article (Bottelin et Baillet, Geophysical Research Letters, https://doi.org/10.1029/2024GL109139, 2024), nous présentons un suivi mis en place sur plus de 10 ans combinant i) des déformations de surface par extensomètre et théodolite automatique avec ii) un suivi par sismique passive, à l’aide du capteur basse consommation SAGE_RockGuard durant 2023. Cela nous a permis de caractériser le comportement du site durant une période initiale de faible activité puis de suivre son évolution vers la rupture. En particulier, nous avons pu caractériser une saisonnalité des déformations de la pente avec une accélération des mouvements durant la période hivernale et une stabilisation progressive durant le printemps et l’été. La fréquence de résonance –i.e. la fréquence à laquelle la pente instable résonne naturellement – présente aussi des variations saisonnières liées à la température.
A partir de l’hiver 2019-2020, les pics de déformation durant la période hivernale (~0.2 cm/jour au maximum) se sont intensifiés, toujours suivis d’une relative stabilisation durant le reste de l’année. La fréquence de résonance n’a pas mis en évidence de changement de rigidité de la pente sur cette période. En revanche, un changement radical de comportement a été détecté en 2023. Les vitesses de déformation de surface se sont établies entre 0.5 et 2.0 cm/jour durant plusieurs mois, atteignant environ 20 cm/jour durant les dernières heures avant l’éboulement. Durant la même période, la fréquence de résonance a chuté d’environ 25 % dont 5 % durant les derniers jours précédant l’éboulement. Cette perte massive de rigidité peut être liée à des phénomènes de glissement sur une surface de rupture préexistante, au fluage de la masse instable, mais aussi à la rupture brutale de ponts ou bancs rocheux contrôlant la stabilité de la pente. Le déroulé de l’éboulement en plusieurs phases concorde particulièrement bien i) avec le zonage de l’aléa réalisé par sismique passive, ii) avec la mise en évidence des fractures de découplage principales via la même méthode (Bottelin et al., Engineering Geology, https://doi.org/10.1016/j.enggeo.2024.107627, 2024) et iii) avec les expertises géologiques, géotechniques et l’instrumentation menées par la SAGE.
En conclusion, suivre la fréquence de résonance en parallèle des déformations de surface pourrait permettre d’avoir une meilleure compréhension du comportement de versants rocheux instables et aider à la prédiction des éboulements afin de mettre en sécurité les biens et les personnes au bon moment.
Références
Bottelin, P., & Baillet, L. (2024). Original insights into rock slope damage processes until collapse from passive seismic monitoring. Geophysical Research Letters, 51, e2024GL109139. https://doi.org/10.1029/2024GL109139 [open access]
Bottelin, P., et al. (2024). Mapping rockfall hazard and detecting precursory damage in rock slopes with passive seismic: Lessons from the La Praz case-study. Engineering Geology 338, 107627.
https://doi.org/10.1016/j.enggeo.2024.107627